jeudi 17 février 2011

Jean Marie Rouard - 16/02/2011- Strasbourg

QUAND NOTRE REGIONALE RENCONTRE UN ACADEMICIEN :
JEAN-MARIE ROUART
Jean -Marie ROUART
Le jour de sa réception à l'Académie Française
   le 18 décembre 1997
La conversation a eu lieu à la librairie Kléber à Strasbourg le 16 février 2011



L’avant-propos d’Annick Walker

   C’est en 1997, Monsieur ROUART, que vous avez été accueilli à l’Académie Française ; vous fûtes alors le plus jeunes de nos Immortels.
Vous êtes titulaire de la Légion d’Honneur, de l’Ordre National du Mérite et Commandeur des Arts et des Lettres.
   Vos ouvrages ont été distingués par les prix Renaudot et Interallié, ainsi que par celui de l’Académie Française. L’ensemble de votre oeuvre a été honorée par le prix Prince Pierre de Monaco.
Vous publiez votre premier roman « La Fuite en Pologne » à 31 ans, ce qui n’est pas précoce ! Suivront plus d’une douzaine de romans, des essais, une biographie, de nombreuses et toujours actuelles activités de journalisme...
   Vous êtes issu d’une famille d’exception : deux arrière-grands –pères peintres : Henri ROUART et Henri LEROLLE, un oncle et un père également peintres, comme le rappellent opportunément la couverture de « Une Jeunesse à l’Ombre de la Lumière « et la jaquette de « La Guerre Amoureuse «, votre dernier roman, illustrées toutes deux d’oeuvres de votre père Augustin ROUART : l’écriture s’honorant de la peinture !

La lecture d'Augustin Renoir qui a peint plusieurs portraits de la grand-mère de Jean-Marie Rouart.

   A vrai dire, ce n’est pas l’excellence de votre parcours qui a incité la Régionale de l’Association Française pour les Enfants Précoces à vous solliciter –et la faveur que vous nous faites aujourd’hui nous conforte dans notre engagement - . Bien au contraire. La lecture de votre biographie « à l’ombre de la Lumière » m’a immédiatement convaincue que vous représentiez -selon le terme du Bulletin Officiel de l’Education Nationale - un « expert » … mais un expert « es échecs … et mat !»
Vous qualifiez, en effet, de « désastre « (p.174) votre parcours scolaire, au point que votre père envisage de faire de vous un apprenti menuisier .Vous avez 12 ans. Mais vous faites feu de tout bois pour le convaincre du bien-fondé des études qui vous délaissent pourtant.
Le baccalauréat vous paraît « une forteresse imprenable » .Vous échouez donc à plusieurs reprises.
Je vous cite : « Je ratai ma première année de droit…lequel m’ennuyait à mourir… et mon premier roman fut refusé par treize éditeurs. Treize ! »
Il ne devait pas en manquer beaucoup à l’appel à l’époque.
Comme écrire représentait « la seule arme avec laquelle je pouvais affronter la vie…si je n’y parvenais pas, je ne serais pas moi-même .Je ne serais qu’une ombre. Et pendant les dix ans qui séparèrent cet échec de la publication de mon premier roman, je vécus comme un zombie »
    Recalé…refusé…vous touchez le fond .
Alors, Monsieur ROUART, comment cohabite-t-on avec soi lorsque s’accumulent les actes manqués ?


Le témoignage de Jean-Marie ROUART

En effet, je me souviens surtout de mes échecs, voire de mes humiliations : Je rêvais au-dessus de mes moyens. J’avais le sentiment d’être au monde mais pas du monde.
Mon expérience Montessori du type « fais ce que voudras » a été une nouvelle déconvenue car je n’appréciais pas le collectif ; j’ai toujours aimé qu’on ne parle qu’à moi.
L’épisode le plus glacial, je le connus à 11 ans en éprouvant un sentiment de « déclassé » à l’idée de devenir apprenti, mêlé de culpabilité car mes parents payaient cher des études que je ne réussissais pas.
Cependant, à 14 ans, je lisais déjà La Chartreuse de Parme.
Grâce à un directeur de collège, je sautais la 4° avant d’être considéré comme « nul » à l’Ecole Alsacienne.
Il me fallut trois ans pour réussir le premier baccalauréat avec un oral de rattrapage puis j’échouais en philo avant d’être recalé en première année de Lettres.
Je travaillais beaucoup mais je ne comprenais rien : je n’arrive à l’abstrait que par le concret.
Ma chance fut d’être reconnu par A. BLONDIN, K. HAEDENS et J .D’ORMESSON


Le dialogue avec l’auditoire

Q : - Quelles différences distinguent selon vous l’échec du succès ? Ne s’agit-il pas des deux faces d’une même médaille ?
R. : -En effet, c’est inséparable .Il faut faire les choses au-dessus de soi-même…ce qui mène à l’échec ! Mais la vie des Grands Hommes est tissée d’échecs : Alexandre, Bonaparte, sous-lieutenant pendant 7 ans …C’est le destin de ceux qui veulent sortir du lot commun. Il faut surmonter ses échecs sociaux, amoureux, ceux de la maladie, de la mort de proches, des échecs qui ne sont pas de notre fait. Il faut les surmonter et donner un sens à ses échecs, ce que l’écrivain peut faire en se disant : quel livre, je vais pouvoir écrire !
C’est l’avantage du romancier qui réfléchit sur la vie et au terrain sur lequel il va édifier son écriture.
Personne n’échappe à l’échec car on ne peut pas se faire une vie totalement soucieuse de prévoyance, d’assurance, on veut aller plus loin, plus haut .
« Endurer « tel est le mot-clé !

Q :- Votre parcours scolaire serait-il possible aujourd’hui ?
R : -J’ai eu la chance de naître dans une société moins formatée où le diplôme n’était pas premier pour l’insertion sociale et professionnelle.
A 22 ans, j’ai rencontré Jean RENOIR, mais j’avais déjà vu tous ses films : il faut faire sa chance soi -même ,
établir des rencontres et je considère que je fais partie d’une chaîne qui part de Homère jusqu’à nous.
Les carrières se font aussi par les rencontres, en ce qui me concerne celles de IONESCO et de Julien GREEN. Il est beaucoup de portes que les gens n’osent pas franchir.

Q : -A quoi sont dus vos échecs sociaux ?
R : -Ma famille était prestigieuse mais mon père était désargenté .A 4-5 ans, je vécus une rupture avec mes parents qui me placèrent chez des pêcheurs où je restai 4 ans : décalé de la réalité, je m’évadais dans le rêve.
J’ai retrouvé la réalité grâce aux livres,- ce qui est un paradoxe – en lisant BALZAC et je voulais ressembler aux héros romantiques.

Q :- Comment peut-on échouer en travaillant tellement ?
R :- Comme directeur de journaux, j’ai eu deux stagiaires qui ont bien réussi .Il peut y avoir un déclic, par transfert affectif le plus souvent. Ma chance a été d’avoir des parents très aimants, qui ne m’ont jamais brimé.
Il faut oeuvrer par persuasion et infusion.

Q :- D’ORMESSON, CHATEAUBRIAND sont-ils vos maîtres en littérature ?
R :- Jean D’ORMESSON représente sans doute le père que j’aurais aimé avoir .Il m’a appris à apprivoiser la société. J’étais taciturne, timide et angoissé .En tant que journaliste, je suis le propre mécène des textes que je veux écrire.
En fait, mon maître, c’est la Littérature .J’aime toutes les intentions artistiques, les écrivains qui aiment les artistes et inversement. La Littérature élargit les bords de la vie. Ceux qui ont provoqué un déclic pour moi, comme un sentiment de parenté, ce sont DRIEU LA ROCHELLE, l’écrivain évidemment, et GIDE.


Annick Walker remercie vivement Jean-Marie ROUART , en particulier au nom de l’AFEP Alsace-Lorraine.
Applaudissements.